
Vol de voiture avec violence, le propriétaire du véhicule décède sous les coups
Le Parisien (22 décembre 2015)
Deux individus âgés respectivement de 25 et 32 ans ont été mis en examen pour homicide volontaire cet après-midi dans le cadre d’une enquête sur le meurtre d’un homme de 35 ans, la semaine dernière sur la commune de Levallois-Perret. Les suspects, connus des services de police, notamment pour des affaires de vols de voitures avec violence et trafic de stupéfiants nient les faits. La victime morte sous les coups de baramine avait également eu affaire à la justice pour des problèmes de violences conjugales.
Voici une nouvelle, la première, que j’ai publiée et pour laquelle j’avais eu un prix. Je m’étais bien amusée à l’écrire, d’autant que ce sont d’anciens voisins qui m’ont inspirée. Cette histoire explore les limites de la solidarité féminine et questionne jusqu’où peut aller une mère pour protéger – non seulement son enfant, mais aussi une autre femme en détresse.
L’écriture de ce texte m’a permis d’aborder des thèmes qui me tiennent à cœur : la violence conjugale, le silence complice de l’entourage, et cette zone grise où la justice officielle ne suffit plus. Axelle, mon personnage principal, incarne cette femme ordinaire qui, ayant vécu l’enfer domestique, ne peut plus fermer les yeux sur celui que vit sa voisine.
Ce qui m’a particulièrement intéressée dans cette nouvelle, c’est de montrer comment l’expérience personnelle de la violence peut transformer une victime en protectrice – et parfois en justicière. Entre réalisme social et thriller psychologique, j’ai voulu créer un récit qui dérange autant qu’il interroge nos propres limites morales.
« Deux mois après la sortie d’Axelle et de Gaspard de la maternité, Antoine n’avait pas modifié son comportement, au contraire, leurs relations s’étaient encore dégradées. »
– Sophie Aubard
Sans Bruit, sans cri
Axelle habite un trois-pièces au sixième étage d’une résidence paisible. Elle vit maintenant seule avec son fils de deux ans, Gaspard. Son compagnon Antoine a mal supporté sa grossesse. Le ventre rond d’Axelle et sa libido en berne l’ont agacé. Il lui reprochait souvent de n’être plus qu’enceinte, rien d’autre, même plus une femme. Axelle a laissé passer pendant neuf lunes sa mauvaise humeur, se persuadant qu’à la naissance de leur enfant, elle retrouverait l’amour d’Antoine.
Pour la naissance de Gaspard, il ne l’a pas accompagnée à la maternité, il avait trop de travail. Axelle a rejoint l’hôpital en taxi. Antoine lui a rendu une brève visite en fin de journée, lui a demandé si l’enfant était beau. Il a délicatement fait remarquer à Axelle sa mine aussi délavée que les draps de son lit. Gaspard leur fils s’est mis à pleurer doucement, Axelle s’est hissée avec peine pour le prendre dans ses bras. Antoine s’est levé d’un bond, a déposé un baiser sur le front de Gaspard. Sans un mot, il est parti.
Deux mois après la sortie d’Axelle et de Gaspard de la maternité, Antoine n’avait pas modifié son comportement, au contraire, leurs relations s’étaient encore dégradées. Ses propos étaient devenus méchants, il s’était mis à s’emporter dans des colères des plus violentes contre Axelle. Rien ne les justifiait. Jusqu’au jour où, n’en pouvant plus, Axelle s’est plantée devant lui, l’a regardé dans les yeux, a exigé des explications.
– Tu vas me dire ce qui se passe ? Je ne supporte plus tes hurlements.
– C’est toi qui vas la fermer.
Blême, Antoine a levé sa main droite pour l’abattre avec une puissance invraisemblable sur le visage d’Axelle. La violence du coup a emporté la joue, le cerveau, les cheveux et les oreilles d’Axelle dans un mouvement cyclonique. Son corps s’est vrillé, sa cervelle a tourbillonné.
Elle s’est relevée, se soutenant au bord de l’évier, la tête baissée et les yeux rivés sur lui, elle a compris que c’était fini.
– Tu n’aurais jamais dû me frapper, lever la main sur moi.
Sans un mot, elle l’a planté dans la cuisine et est allée chercher Gaspard. Elle l’a pris dans ses bras. Une fois dans le parking, assise derrière le volant de sa voiture, elle s’est mise à sangloter, son cœur souffrait encore plus que son corps. Elle a attendu que le flot se tarisse, qu’elle puisse voir la route et s’est rendue au commissariat pour déposer plainte. Elle a vu un médecin. Sa lèvre fendue nécessitant des points de suture, les bourdonnements ne quittant plus son oreille gauche, et son œil tuméfié ont justifié un arrêt. Sa plainte a été enregistrée.
Elle n’a répondu à aucun des appels d’Antoine pendant qu’on l’examinait à l’hôpital ni quand elle répondait aux questions de la femme policier au commissariat. Elle est rentrée chez elle, Gaspard toujours dans ses bras. Antoine se tenait debout dans la cuisine, la colère ne s’était pas dissipée. Axelle lui a doucement, mais fermement enjoint de partir.
– Tu as quinze minutes pour faire tes valises. J’ai une plainte pour coups et blessures volontaires ainsi qu’un certificat médical. Tu pars, sinon j’envoie la copie des documents à tes actionnaires, ils seront certainement intéressés de voir quel type de patron tu es. Parce que si tu ne le fais pas, je ne te frapperai pas, mais je te promets de te démolir.
Antoine a pris ses affaires sans broncher.
Alors, quand de nouveaux voisins ont emménagé en dessous de chez elle et qu’elle a entendu des cris de femme, son cœur s’est serré. Souvent, des bruits d’objets jetés, ou de corps frappé contre un mur montaient jusqu’à son appartement. Le voisin était grand et puissant, bestial. Il menait un train de vie qui n’était pas en phase son métier de gérant de pizzeria. Matteo roulait en voitures imposantes et voyantes. Cartier, Patek ou Breguet lui donnaient l’heure. Il portait toujours des vêtements de marques et, toisait du haut de sa tête de mafieux les autres habitants de la résidence. Il ne parlait que de ça d’ailleurs, ses magnifiques voitures que tout le monde certainement lui enviait.
Axelle a plusieurs fois croisé sa femme dans l’ascenseur. Les lendemains de soirées de grands fracas, elle se cachait toujours derrière d’immenses lunettes noires et une épaisse couche de fond de teint qui ne parvenaient pas à masquer les coups qu’elle avait encaissés.
Axelle a tenté à plusieurs reprises d’entamer la conversation. Elle lui a offert son aide, avec tact pour ne pas l’humilier davantage.
– Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas. J’habite juste au-dessus de chez vous. Entre voisines, c’est bien normal de s’entraider.
La voisine a juste dit merci. De son corps émanait encore l’odeur de la peur et de la douleur.
Les bruits effrayants n’ont fait que s’amplifier de jour en jour. Un autre soir, elle a entendu sa voisine crier, d’abord de plaisir puis d’horreur.
– Arrête, je t’en supplie Matteo ! Arrête !
Elle a continué à hurler pendant deux minutes, une éternité. Axelle a pris Gaspard dans ses bras, et est allée frapper chez les voisins. C’est lui qui a répondu à travers la porte close.
– C’est qui ?
– Axelle, votre voisine du dessus. J’ai entendu des cris, tout va bien ?
– Dégagez, et occupez-vous de vos oignons. Trouvez-vous un mec qui vous fait chanter, ça vous fera du bien.
Axelle a rejoint son appartement, couché son fils. Elle n’a pas réussi à s’endormir. Elle songeait à sa voisine, certainement recroquevillée ou étalée. Elle la voyait distinctement, et dans le pire état, tant les hurlements étaient effrayants. Elle avait bien tenté de s’en ouvrir à ses voisins, mais ils avaient tous fait la sourde oreille, des hommes avaient même osé dire qu’elle aimait peut-être ça.
Le lendemain matin en démarrant son scooter, Axelle est restée plantée devant les trois voitures rutilantes et vulgaires du voisin. Elle a bien pensé un instant à leur crever les pneus, pour finalement conclure qu’elle préfèrerait lui crever les yeux, à lui. Elle a passé une mauvaise journée. Elle avait à l’esprit la vision des immenses lunettes de soleil et le maquillage de sa voisine qui ne parvenaient plus à dissimuler les tortures que Matteo lui infligeait. Le soir en rentrant du bureau sur son scooter, Axelle s’est promis d’aller voir sa voisine quand son bourreau de mari serait parti. Elle aurait une discussion franche pour l’aider, la sauver.
Alors qu’elle sortait du parking souterrain, elle a aperçu un corps massif étendu sur l’une des places de stationnement du mafieux, la place centrale, celle de sa Jaguar. Ne restaient que deux énormes voitures. Elle s’est approchée, il était là, couché à même le sol en béton, recroquevillé comme un enfant, le visage ensanglanté, gisant sur le flanc. Des fragments de ses dents reposaient à côté de son crâne couvert de nombreuses plaies. Il a entrouvert ses paupières gonflées, la colère perçait dans son regard.
– Ils m’ont volé ma Jaguar, les enfoirés.
Axelle a vu la barre en fer couverte de cheveux et de sang posée à côté de lui. Elle a regardé ses mains, elle portait encore ses gants. Elle s’est emparée du pied de biche et lui a asséné de violents coups sur le crâne jusqu’à ce qu’il ne respire plus. Elle a reposé l’objet contondant, vérifié qu’elle ne portait sur elle aucune trace de sang. Elle a ôté son casque et ses gants, et d’un pas léger est partie chercher Gaspard à la garderie.